Matthieu Binette a appris à ne pas se servir d’une efface. « Un conseil de mon père, Berthin, qui a fait ses beaux-arts et a été prof pendant 30 ans. » L’erreur n’existe pas. Il n’y a donc rien à effacer. Sage enseignement s’il en est un, puisque sans cette notion qui induit la peur de se tromper, l’apprentissage et l’imagination ou la découverte sont favorisés. Né à Timmins, en Ontario, en 1977, mais ayant grandi à Sherbrooke, Matthieu est de ceux sur lesquels l’école, lieu de passage obligé, a peu d’impact. Selon Ivan Illich, le système d’éducation de l’État aggraverait de toute manière ce qu’elle est censée améliorer, puisqu’il détruit ou dévalorise les capacités productives autonomes et, si on y réfléchit un tant soit peu, les apprentissages importants proviennent de circonstances aléatoires… De toute façon, en classe, Matthieu fait surtout de l’extra-scolaire.
« La démarche artistique de Matthieu Binette prend forme en 1999 alors que celui-ci développe une technique inusitée et personnelle. Cette technique consiste à faire fondre des cintres goutte par goutte. La superposition de ces gouttes d’acier engendre des personnages texturés aux formes allongées », selon son CV officiel. Le principal intéressé rectifie : « J’ai développé ma technique à l’école pendant les cours de français avec du Liquid Paper. » Destiné à corriger des fautes et l’erreur n’existant pas…il aura détourné de sa fonction imposée le fameux liquide correcteur. Goutte à goutte, ses créations miniatures prennent forme, le liquide se solidifiant en séchant. Au cégep de Sherbrooke, en arts plastiques, à part la soudure, en autant qu’on ne lui inflige pas l’épreuve de souder ensemble deux plaques de métal et qu’il peut à volonté faire fondre goutte à goutte l’acier, il demeure plutôt imperméable aux autres matières. Il expose et vend déjà ses œuvres. Outre l’addition de gouttes, un jeu de deux lignes s’élevant en hauteur et dont il ne connaît jamais l’issue, la voie artistique du cégépien semblant déjà tracée, on lui suggère de s’initier à la ferronnerie d’art auprès de Jean-Marc Tetro. Pendant six mois, il fait ses apprentissages, mais dès qu’on le laisse faire ce qu’il veut, le retour à la juxtaposition de gouttes de métal chaud, à l’état de fusion, gluant et malléable, est immédiat. Claude Hunot, de Rougemont, qui marie sculpture et joaillerie, l’initiera pour sa part à la finition. Matthieu qui a l’habitude de l’acier, n’est pas à l’aise avec les autres métaux. Aucun ne s’y compare. Son verdict est sans appel : « Ça ne marche pas ! » L’acier, l’oxy-acétylène et la torche font ainsi partie de son quotidien. Sa première exigence est de faire le plus simple et le plus pur possible. « Rien n’a changé en dix ans, mais, forcément, ma technique s’est améliorée. » L’inspiration ? L’imagination ? « Je n’ai rien de ça, pas même une idée. Je pars de rien, mais la figuration est sans fin. La forme, les lignes, le mouvement se créent d’eux-mêmes, un demi centimètre à la fois. Je continue ce qui se met en place, mais toujours dans la légèreté, une recherche de l’effet aérien, en opposition à la densité du métal. Mais mentalement, c’est très exigeant. » Son art singulier commande en effet une grande concentration, une stabilité et une vigilances constantes, une dextérité, voire une maestria technique, et de l’endurance, afin que chaque goutte de métal se dépose précisément sur la précédente avant de se solidifier. Finesse, subtilité, mouvement, impossibilité d’effacer… Heureusement ! Un amateur lui a dit un jour qu’il voyait une certaine affinité entre son travail et celui de Giacometti. « Je ne savais pas à qui il référait, j’ai cherché et trouvé dans les ouvrages de mon père. La comparaison m’a semblé très flatteuse. Néanmoins, c’est Alexander Calder qui m’allume le plus. Je suis fasciné par ses assemblages de formes animées par les mouvements de l’air. » Il faut reconnaître que sa vision est juste, la légèreté de ses représentations le distinguant de Giacometti. Et sa technique est unique. « Ma démarche tourne essentiellement autour d’un mouvement minimaliste. De longues jambes et de longs bras pour ainsi mieux exprimer la ligne et accentuer l’émotion, le sentiment de légèreté créé à partir du métal fondu. Rendre fluide ce qui est lourd. Je veux représenter ces éléments à travers chacune de mes sculptures dans un contexte reconnaissable, figuratif, pour situer la personne, le regard. » Pourquoi certaines de ses sculptures se retrouvent-elles dans des cadres ? « Je ne suis pas doué en dessin, mais lors d’un séjour en Asie, privé de mes outils, j’ai redécouvert l’encre de Chine et son effet sur le papier à aquarelle.» Les ombres de ses sculptures, représentant surtout des humains, avec ou sans ailes, des animaux et des insectes, propulsent ainsi son art dans une nouvelle dimension. Sur la voie de la simplicité et de la pureté, guidé par son inextinguible passion pour le feu et le métal, Matthieu Binette avance et tout, jusqu’au succès, le propulse toujours vers l’avant. Source : Parcours, arts & arts de vivre